« Son état se dégrade de plus en plus ».
Comme il est sinistre d’aimer autant les mots, pour frémir d’effroi à la lecture de certains.
Ces mots cliniques. Froids comme le métal.
J’enrage de te laisser là, dans cet antre nauséabond.
Comme il est frustrant, de te voir partir. Dériver… lentement.
Comme à ton habitude, tu chantes et illumines la journée des autres résidents.
Tu tombes mille fois, tu continues pourtant.
Pour te libérer de ton esprit, ils vont t’enfermer davantage…
Assis dans ton fauteuil, je t’observe amener péniblement la cuillère, vers la bouche.
Toi qui, il y a un an à peine, me décrivais encore les mille nuances des fleurs au jardin. Et marchais avec moi, bras dessus, bras dessous, rue des bains.
Nous dessinons ensemble des animaux et des nuages, au creux des purées multicolores.
C’est bon, aussi… de s’amuser d’un rien.
« C’est difficile papi en ce moment ».
Ton regard bleu azur me répond :
« Il faut faire face. »
Mon papi-rambo. C’est tout toi.
Cette force, cet optimisme intérieurs qui te caractérisent tant.
Ta faculté à percevoir la bonté des gens. A nous combler.
Ta générosité sans condition.
Ce supplément d’âme et d’amour que tu sers à chaque tablée, chaque événement.
Ce sourire quand tu me vois passer le pas de ta porte.
Comme j’aimerais l’emmener avec moi, après chacune de mes visites…
Comme j’aimerais ancrer ton cortex dans le réel, te ramener à l’instant présent.
Comme j’aimerais suspendre le temps, en ce moment.
Sous tant d’aspects, il me file entre les mains.
Comme un ruisseau sauvage, terrible, que je regarde… impuissante.
GEORGES ET JEANNE
« Moi qu’un petit enfant rend tout à fait stupide,
J’en ai deux; George et Jeanne; et je prends l’un pour guide
Et l’autre pour lumière, et j’accours à leur voix,
Vu que George a deux ans et que Jeanne a dix mois.
Leurs essais d’exister sont divinement gauches;
On croit, dans leur parole où tremblent des ébauches,
Voir un reste de ciel qui se dissipe et fuit;
Et moi qui suis le soir, et moi qui suis la nuit,
Moi dont le destin pâle et froid se décolore,
J’ai l’attendrissement de dire: Ils sont l’aurore.
Leur dialogue obscur m’ouvre des horizons;
Ils s’entendent entr’eux, se donnent leurs raisons.
Jugez comme cela disperse mes pensées.
En moi, désirs, projets, les choses insensées,
Les choses sages, tout, à leur tendre lueur,
Tombe, et je ne suis plus qu’un bonhomme rêveur.
Je ne sens plus la trouble et secrète secousse
Du mal qui nous attire et du sort qui nous pousse.
Les enfants chancelants sont nos meilleurs appuis.
Je les regarde, et puis je les écoute, et puis
Je suis bon, et mon coeur s’apaise en leur présence;
J’accepte les conseils sacrés de l’innocence,
Je fus toute ma vie ainsi; je n’ai jamais
Rien connu, dans les deuils comme sur les sommets,
De plus doux que l’oubli qui nous envahit l’âme
Devant les êtres purs d’où monte une humble flamme;
Je contemple, en nos temps souvent noirs et ternis,
Ce point du jour qui sort des berceaux et des nids.
Victor Hugo
On continue ?



